Lorsqu’on est spectateur de la performance d’un participant, on oublie souvent qu’il a fallu assembler quantité de rouages pour en arriver là, et encore autant la fois suivante pour reproduire cette performance. Merci à Remi de nous permettre de rentrer dans ces derniers préparatifs et son expérience au cours du BikingMan AURA 2022, épreuve qu’il finira par remporter, sa 2ème victoire sur un BikingMan.
Dimanche
Je débarque à Beaumont-lès-Valence, base du BikingMan AURA (AUvergne-Rhône-Alpes) pour le check-in et le briefing. Comme tous les concurrents, je suis super bien accueilli par l’équipe BikingMan, Axel et ses Race Angels. Je retrouve Patrick Gilles, le président de mon team Cyclosportissimo, ainsi que Hugues Faivre d’Arcier, avec qui j’ai déjà partagé une RAF et une RAB (Bourgogne). Hugues c’est celui qui fait largement baisser la moyenne d’âge des concurrents. Et comme tout jeune, il est encore dissipé. Par exemple, il monte son vélo et change ses pneus après le briefing, alors que tous les autres ont déjà fait ça depuis au moins une semaine, et ont été revérifier 3 ou 4 fois que ça allait 😂.
Pour ma part, je ne sais pas trop quel résultat je peux faire. Bien sûr, j’ai déjà gagné un BikingMan, je commence à maitriser le sujet. Mais le début de ma saison a été fortement perturbé par un accident et il y a beaucoup de spécialistes annoncés sur la ligne de départ. Les courses d’ultra, c’est clairement 2 catégories de concurrents. Ceux pour qui boucler la distance est un défi personnel, qui sont là pour finir en fonction de leurs possibilités, de leur entrainement, et qui ont déjà prévu de dormir toutes les nuits, avec parfois les hôtels déjà réservés. Et il y les furieux prêts à flirter avec les limites de leur santé pour en découdre. J’en fais partie, je suis déjà passé de l’autre côté de la limite qui mène au DNF. Mes derniers entrainements ne m’ont pas forcément rassuré. Un 200 km dans les Alpes où je suis rentré totalement décalqué, marchant parfois dans les cols. Et des problèmes techniques qui se sont multipliés, cause d’abandon si ça arrive en course (dérailleur Di2 avant HS, écran du compteur Garmin qui se détache, etc.). Bref on verra bien demain.
Lundi
Le lendemain 5h, la guirlande clignotante constituée des lampes de 120 coureurs est prête à illuminer la vallée du Rhône. Je me suis endormi tôt, pas de stress, c’est déjà ça de gagné. Je pars avec la 2e vague (de 10 coureurs). Je me rends compte après le départ que Patrick est dans ce groupe également. Nous nous détachons rapidement. Drafting interdit oblige, et rythmes différents, on se double, dédouble, redouble… C’est assez désagréable, impossible de réguler sa vitesse. Je me dis que nous allons être naturellement séparés par la (sévère) pente du col de la Mure. Et c’est le cas, mais pas du tout comme je le pensais. A ma grande surprise, Patrick, que je connaissais comme moins bon grimpeur, dopé par sa belle saison, dont une 2e place au BikingMan France, s’envole devant moi, et rejoint rapidement les meilleurs de la 1ère vague en tête de course. Je les aperçois parfois au loin. Ça durera ainsi jusqu’au Cheylard, km 60. Là, on ne rigole plus, je suis sur mes terres d’adoption. Je viens rouler ici depuis très longtemps, c’est MON paradis du vélo. Il est temps de montrer qui c’est le patron ici 😁. Je fais l’effort pour prendre la tête… pour la perdre presque aussitôt. Un coureur revenu de l’arrière me passe en boulet de canon. J’apprendrai plus tard que c’est Yoan Dercourt, que je ne connaissais pas, et qu’il est parti avec la dernière vague, donc avec environ 10-12 minutes de handicap.
Retour à la case départ, on se retrouve avec Patrick à jouer au jeu du double / dédouble. Plus personne en vue derrière, et on imagine que Yoan est parti pour un festival devant. Alors que l’on prend de la hauteur en direction du Gerbier de Jonc, je suis hypnotisé par les sucs éclairés par le soleil levant. Trop beau 🤩. On laisse le Gerbier à notre droite, direction les monts du Cantal. On évolue ainsi entre 800 et 1300m d’altitude, jamais plat. Patrick m’étonne de plus en plus, il tire de gros braquets. On retombe sur Yoan. Le début de l’enfer pour moi… Patrick et Yoan mènent gros train. J’essaye pour ma part de suivre à distance en lissant l’effort. Euh… Ils savent qu’on est partis pour plus de 1000km ?🤔 Je les perds souvent, surtout dans les innombrables bosses, puis je reviens. On passe des paysages fantastiques dont l’immense lac de Naussac. Arrive enfin le CP1. Mes 2 compères ne m’ont finalement pas lâché. Je fais le plein avec des délicieuses lentilles-saucisses (erreur), bois 450 litres d’eau, et repars, seul. Yoan a fait un repas rapide, et Patrick traite ses réseaux sociaux. Je crois que nous en avions tous marre de subir, et il était temps de rouler à notre rythme. D’entrée, je souffre. La chaleur et la digestion me collent au bitume du Pas de Peyrol.
J’ai des nausées. Ça durera jusqu’au déclin du jour. Patrick revient alors sur moi. Je le laisse filer devant. Je suis donc 3e à cet instant. Le soleil commence à se coucher. Je suis seul au monde sur un plateau, avec en fond d’écran les montagnes du Massif Central sur un fond rouge. C’est magnifique! Merci encore Axel pour les parcours que tu nous trouves (j’avais déjà adoré celui du BikingMan France). Il est temps de rejoindre la civilisation. Grande descente dans le froid (si si, je suis obligé de m’habiller). Arrivée à Issoire où je retombe brièvement sur Patrick. Il s’arrêtera prendre de l’eau ensuite, et je ne le reverrai plus sur ce BikingMan (teaser). Je poursuis la trace, toujours pas de Yoan en vue. Je jette un œil sur le livetracking, et je découvre que je suis en tête. Yoan est en fait derrière. Il s’est arrêté dormir un peu. Me voilà donc dans ce que je préfère. La nuit, avec ses routes désertes et ses températures supportables. Les kilomètres défilent. Petite surprise avec une pente extrême (je me suis même arrêté car je croyais que j’étais resté sur le grand plateau, que le petit n’avait pas pu passer). Et je retrouve toute l’équipe postée sur cette pente, pour se délecter de leur trouvaille. Plus tard j’apprendrai par l’organisation que Patrick n’est plus en course. Erreur de trajectoire, chute, casse, hôpital, et abandon. Je suis très déçu pour lui. Patience Patrick, tu reviendras plus fort. Régulièrement, je vois la voiture rouge BikingMan. Axel et Cédric viennent prendre des photos et me poser des questions. « T’es comment Rémi ? » Ben un peu fatigué quand même, ça fait 24h que je roule quasi sans m’arrêter…
Mardi
Lever du soleil, il est temps de passer à mon moment de bonheur sur un ultra: le petit déjeuner. Malheureusement, ça ne se passe pas très bien. Les boulangeries sont rares dans les Dombes. Juste trouvé un pain au chocolat sec. Pas de chausson aux pommes, pas de café, pas de jus d’orange 😭… J’ai perdu assez de temps à chercher, et vu l’heure, je décide de mettre le cap sur le CP2. Il faut rester vigilant sur la trace, les changements de direction s’enchainent, et la circulation s’intensifie. Arrivé au CP2, je retrouve toute l’équipe qui me presse une fois de plus de questions et me photographie sous tous les angles. Ravitaillement, et c’est reparti, à l’assaut sur Grand Colombier, un des rares cols que je connais déjà sur ce parcours. Ses pentes extrêmes ne seront donc pas une surprise pour moi. J’ai déjà décidé avant d’y arriver de monter à pieds pour m’économiser. L’approche, par contre, je ne la connaissais pas par ce côté. Ça monte fort, et surtout c’est la canicule 😱. Pas du tout d’ombre, le Garmin indique 38-39°C. Puis séance randonnée pédestre donc, comme prévue. C’est looooong. Je remonte quand même sur le vélo au niveau de la Selle de Fromentel pour finir en pédalant.
Je bascule dans la descente rapide. Soudain je prends un nid de poule. Limite chute. Ouf, pas de crevaison non plus. Même les 2 bidons sont restés sur le vélo. Un miracle. J’arrive en bas, roule jusqu’à Culoz. Je décide de faire un point sur le livetracking. Et là, c’est le drame. Je m’aperçois que mon téléphone – en théorie fixé par aimant sur le guidon – n’est plus là. Le nid de poule… J’envisage un instant d’aller le rechercher, mais ça veut dire revenir en arrière de 25km dont la montée du Grand Colombier, sans garantie de le retrouver. J’oublie.
Toute cette partie est terrible. La chaleur est intense, l’eau introuvable. Les rares fontaines sont à sec. Parmi tant d’exemples, je cherche à rejoindre un cimetière difficilement accessible, barrières et escalier à passer, je cherche le robinet, je me réjouis de l’avoir trouvé, pour finalement voir une feuille expliquant que sècheresse = robinet fermé. ET LES CYCLISTES ??? Après Chambéry, j’attaque la trilogie de la Charteuse, Granier-Cucheron-Porte.
Le col du Granier est en plein soleil, c’est l’enfer. Heureusement la fin de journée approche. Les températures commencent à redescendre. On retrouve enfin l’ambiance montagne. Ça enchaine avec le Cucheron, puis le col de Porte où un cycliste m’accompagne. Je n’arrive pas à le suivre, pourtant il ne semble pas forcer, a un certain âge et est en baskets ! Euh… tu ne serais pas cramé Rémi ? 🤔
Le soleil commence à se coucher, j’essaye de ne pas m’arrêter, le but est de faire la grande descente sur Grenoble avec le peu de luminosité qui reste. Passage de l’agglomération, piste cyclable interminable avec plein de béton remonté par les racines, branches, cailloux. Je reste vigilant, pas envie de crever. Il fait maintenant totalement nuit. La dernière de mon périple.
Mercredi
Je sais qu’il reste 2 gros cols dans le Vercors, mais je ne me suis pas du tout préoccupé du détail. Quand le Garmin m’affiche le profil au pied du premier, le Pas de Pré Coquet, je prends peur. 21 km, plus de 1200 m de dénivelé. Je gère, ça passe. Aucune voiture, pas de Race Angel. Seuls quelques marcassins et blaireaux partagent ma route. Redescente sur Saint-Jean en Royans, que j’ai déjà traversé lors de 2 RAF malheureuses. J’y retrouve mon ange-gardien Sergio, le Race Angel à moto, qui m’a déjà accompagné sur le final à suspens du BM France. Il finira avec moi.
Sauf grosse défaillance, la victoire est probable. Yoan, 2e, est toujours à ma poursuite, entre 15 et 30 km suivant les pointages. Je ne peux néanmoins pas me relâcher, pas faire de grosse pause. Heureusement je n’ai toujours pas sommeil. Sur 48h je sais que l’adrénaline me maintient éveillé. Je n’aurai même pas d’hallucination sur cette course. Je poursuis donc le rythme. Totalement différent de celui de l’Ardèche d’ailleurs. Je suis bien loin des watts envoyés lundi lors de la bataille à 3. Mais visiblement mes poursuivants également. Après Saint-Jean, j’attaque donc le bouquet final, l’enchainement col de la Machine et col de la Bataille. Je panique un peu. Incapable de tourner les jambes, assis sur la selle, je dois monter à l’arrache en danseuse, ça n’avance pas. Je me vois perdre la course. Je me pose au bout de 3-4 km, et me rends compte que je suis resté sur le grand plateau. Manque de lucidité! Je repars. Soulagement, je sais encore pédaler. Ce dernier col est néanmoins interminable, 34 km au total. Quand tu attends la délivrance d’une ligne d’arrivée, c’est long! Un dernier effort sur le petit col de la Limouche, et plongée sur la vallée du Rhône. Ce coup-ci, sauf accident, c’est gagné. Axel, son équipe et une surprise m’attendent sur la ligne d’arrivée. Je l’ai fait!
Samedi
Et bien, ça ne va pas trop mal. Niveau sommeil, j’ai récupéré. Pas de traumatisme lié à la distance, style fesses en feu ou perte des sensations au niveau des pieds. Avec l’expérience, et les podcasts, j’ai affiné ce qui n’allait pas, et j’utilise ce qui me convient le mieux. 80 km ce matin, bonnes sensations.
Le seul gros problème à gérer après cet ultra finalement, c’est le téléphone perdu.
Il me reste à remercier Axel pour l’ensemble de son œuvre, et les Race Angels pour leur gentillesse tout au long de la course. Un vrai coup de cœur 😍.
Enfin Cédric, je ne sais toujours pas pourquoi je fais ça 😜. Mais je risque de le refaire bientôt…
Vous pouvez retrouver le classement complet de l’épreuve ici: