Nico Faure, 3e finisher du BikingMan Corsica 2021 et DNF malheureux sur l’édition France, partage avec nous son expérience sur cette dernière épreuve, chère à son coeur puisque celle pour laquelle il avait concentré sa préparation, celle sur laquelle il désirait briller.
Voici ses mots, son récit, au coeur de l’aventure du BikingMan France:
Difficile de retranscrire de manière brève mes sentiments sur cette première édition du BikingMan France. Je savais, avant d’arriver ici dans le sud de la France, qu’enchaîner en 10 jours deux courses d’ultra représentait en soit un challenge physique. Ce que j’ignorais par contre était que le défi était en réalité davantage mental. L’essence même de l’ultra est à mon sens l’acceptation de la souffrance, jusqu’à quel point tu es capable de repousser tes limites.
L’édition Corse, terminée sur le podium il y a dix jours de cela, fut réalisée tout en contrôle et dans une certaine tranquillité. Cela peut paraître surprenant à lire mais mon esprit était tourné vers la France. Tous mes efforts étaient soigneusement dosés: suffisamment rapide pour garder les concurrents à distance, pas trop vite pour économiser la mécanique. Une fois la course terminée, mon attention s’est tournée immédiatement vers la récupération, pas de temps à perdre. Passage rapide chez mon osthéo pour apaiser une inflammation au niveau de mon genou droit, massage, étirement, renforcement. L’aspect alimentation fut important afin d’accélérer la récupération musculaire et enfin, du repos, beaucoup de repos. C’est sur ce point que j’ai pêché. Les voyages forment la jeunesse, ils fatiguent aussi. La nuit complète de voyage deux jours avant la course a probablement laissé des traces. Donc le statut au départ de ce BikingMan France: les jambes vont bien, le genou est une interrogation et un déficit de sommeil peut s’avérer pénalisant en seconde partie de course.
Le départ de la course ne fait que confirmer mes doutes ou craintes, mon genou n’est pas au mieux, il va falloir serrer les dents. Comme dans tout départ de course, le rythme est élevé. Je décide, sans vraiment avoir le choix, de laisser filer. Je me retrouve rapidement entre deux groupes. La première ascension est pénible et je me pose déjà la question de l’abandon. Mon genou est douloureux et je n’arrive pas à trouver mon rythme. Impuissant, je laisse passer du monde. C’est quelque chose de mentalement difficile à accepter sur le coup car cela ne m’arrive que très rarement. Après seulement une grosse heure de course, l’émotion m’envahit déjà, j’ai déjà la sensation que je ne pourrai pas être acteur de cette course que j’avais placé en haut de mes priorités pour cette saison. La voiture de l’organisation se porte à ma hauteur pour recueillir mes premiers sentiments et le constat est sans appel: d’ordinaire très sûr de moi et de ma force, j’apparais alors résigné. « Sois patient, ça va revenir » sont les mots d’Axel. Je continue de laisser filer, échangeant avec les collègues au fil des rencontres sur la route puis je me trouve isolé. Je ne saurais pas précisément décrire ce qui se passe dans ma tête mais à l’approche d’une petite ascension les événements prennent une nouvelle tournure: je ne me reconnais pas dans cette posture de victime. Il est temps de serrer les dents et de faire parler les jambes. Je rentre alors dans ma zone, de nouveau sûr de ma force, je reprend le fil de ma course et fais taire ces voix internes déstabilisantes. Les gorges du Verdon sont en approche, mes chiffres de puissance commencent à ressembler à quelque chose et je commence à remonter un à un mes concurrents. S’en suit alors une course-poursuite de plus de 14h, alimentée par les pointages réguliers: 15ème, 10ème, 15 kilometres de retard sur la tête de course, 5ème, 3ème. La chaleur ou la difficulté du parcours n’ont pas d’emprises, je suis en contrôle. Le CP1 est en approche, je suis désormais en seconde position, chose inconcevable au bout de 10 kms de course. Il est 23h30, déjà 16h de selle pour 25 minutes de pause. Ma stratégie de départ voulait que je m’arrête me reposer avant de repartir à l’assaut du Ventoux à 2h du matin. J’en profite pour me restaurer, me doucher, massage du genou, étirement et petite sieste de 30 minutes. Il est temps de repartir, je suis alors en 4ème position.
Second tournant de la course.
L’orage gronde, la nuit est éclairée d’éclairs, le sommet du géant de Provence est plongé dans une épaisse couche de nuages. Les premiers coups de pédales ne présagent rien de bon. Mon genou s’est refroidit et la douleur est à nouveau vive, les premiers kilomètres d’ascension sont pénibles. Les éclairs sont désormais au dessus de ma tête, venant éclairer la forêt et refroidir mes ardeurs. Les premières gouttes se font sentir, rester sur la route n’est plus une option. Ayant repéré un abris quelques virages plus bas, je décide alors de rebrousser chemin et de m’abriter. La température baisse, je me calfeutre dans ma couverture de survie et me repose un peu. À 5h, il est l’heure de repartir. En 3h, j’ai donc couvert seulement 30 kms, la tête de course est désormais loin, une nouvelle course-poursuite s’annonce. Être dans cette position est plaisant, ça m’a plutôt réussi en première journée. Pourrais-je en faire de même en seconde journée? Les 11 kms restants d’ascension filent vite, il règne dans la forêt une atmosphère fraîche, le calme règne. Je m’applique à être le plus efficace possible sur le vélo malgré la douleur. Arrive alors le fameux chalet Reynard, j’aperçois quelques centaines de mètres plus loin un des concurrents, voilà mon lièvre pour les 6 kms restants. Une légère pluie nous accompagne, les nuages se déchirent dans la vallée pendant que les premiers rayons de soleil éclairent le sommet. Être sur ces pentes dans ces conditions est un privilège, je profite de chaque instant et arrive même à en oublier par moment la douleur. L’équipe nous attend au sommet, caméras et appareils photos en mains, nous échangeons quelques mots et c’est parti pour la descente. Rassuré par les chiffres (200W en moyenne sur la montée), j’attaque la descente avec prudence mais une relative confiance. Cette dernière va voler en éclat dès la premiere relance, comme un coup de poignard, la douleur vient d’atteindre un tout autre niveau. Je décide donc de me laisser glisser jusqu’à Malaucene. La descente me paraît alors interminable et la décision d’abandonner pour de bon revient à la surface. Dans mon esprit plusieurs sentiments se mélangent: de la frustration, de la colère, de la tristesse et du renoncement.
Arrivé à Malaucene, je me dirige vers la boulangerie, m’assoie à la terrasse, je suis en paix avec ma décision, j’arrête les frais. L’équipe d’Axel arrive, nous partageons un café et je prends le temps d’expliquer les raisons d’un abandon devenu inévitable. S’en suit un rapide coup de téléphone à ma femme pour lui faire part de ma décision. Pour elle, ma décision est encore trop hâtive, je dois continuer, elle me rappelle mes heures d’entraînement et ma remontée de la veille. Je ne veux plus entendre ces choses mais je me résous tout de même à de nouveau monter sur le vélo. Je suis alors en 7ème position avec 2-3 coureurs à portée de tir.
Je repars sans trop savoir pourquoi ni comment. Les kilomètres me paraissent infinis mais je m’accroche. Mon esprit est ailleurs, les jambes tournent péniblement, 200W se transforment en 120W. Dernier sursaut d’orgueil. Un cri fend le silence, je relance avec force, avale un gel caféiné et mets pour la première fois de la musique. Ai-je encore la force d’avoir mal? Deux heures complètes s’en suivent où je retrouve un semblant de rythme. La température ambiante se réchauffe, j’ai pour objectif d’aller chercher le CP2. À l’approche d’une première difficulté, le col de Perty, je m’arrête pour me dévêtir et remplir les gourdes. 5 minutes plus tard, alors que la route s’élève gentiment, sans savoir trop ni pourquoi ni comment, la lumière s’éteint de nouveau. Je me traîne péniblement sur les premières rampes avant de réussir de nouveau à hausser le tempo.
Une fois le sommet atteint, place à la descente, descente fatale.
Un instant de déconcentration m’envoie sur le bas côté, je parviens à garder le contrôle tant bien que mal mais la roue avant explose. Réparation complexe en vue. Après 20 minutes d’acharnement, la roue est remontée mais la coupure est trop importante et le pneu menace de s’ouvrir. Depuis le km 10, je me bats avec cette idée de jeter l’éponge, perturbé par cette douleur lancinante au genou. Voici l’ultime signe, ma course est terminée. Je m’assoie sur le bord de la route et me laisse un instant débordé par l’émotion. Cette course était ma priorité et je passe à côté. Je repense à ma longue rééducation post-blessure en octobre, aux innombrables heures passées sur le trainer, à tous ces efforts pour arriver au pic de ma forme. Avais-je ce qu’il faut pour gagner? Sur le papier, oui, sans l’ombre d’un doute. Maintenant la réalité du terrain est toute autre, je continue mon apprentissage de l’ultra. J’ai la sensation d’être enfin passé au révélateur. D’ordinaire toujours en contrôle j’ai dû me battre contre moi-même. Abandon confirmé, place désormais à la suite avec de nouvelles et belles certitudes. Les Alpes m’attendent mi-juillet avec le BikingMan X. Elles m’ont vu naître et grandir, elles m’inspirent et me donnent beaucoup de force.
Hâte de vous retrouver, chères montagnes.